Passages mystérieux. Identification symptôme liaison.

di Franca Munari

Dans Psychologie des masses et analyse du Moi, l’identification est un des piliers de la réflexion de Freud ; sa complexité, intrinsèque en même temps que mystérieuse, est déclarée et analysée dans cet ouvrage, en particulier dans le paragraphe qui lui est consacré.

Voyons-en les différents points : la question de l’identification par le biais d’un symptôme – celle que nous classons parmi les “identifications hystériques”; la question de l’empathie, Einfühlung, cette condition qui, à la lettre, nous permet d’entrer dans l’Autre et de le “sentir” ou mieux de “se sentir” à travers lui/elle ; la question de l’identification à l’objet d’amour, comme “dans un grand nombre de cas” d’homosexualité masculine, dont la puissance arrive à transformer le Moi en caractère sexuel et, enfin, comme cela arrive dans la mélancolie, l’identification à l’objet perdu ; “l’introjection de cet objet dans le Moi”, précise Freud, en égalisant les deux termes, identification et introjection, arrive à déterminer un clivage dans le Moi ; dans celui-ci, “une des deux parties s’acharne sur l’autre”.

Toutefois, le thème de l’identification est répandu dans tout ce texte, à partir de l’affirmation de base selon laquelle l’identification est la première forme de relation ; on se réfère sans cesse à celle au père originel, au leader, aux frères et à celle œuvrant dans la masse, qui semble hésiter, surtout dans une expropriation du Moi au lieu d’une appropriation de l’objet. Car il ne s’agit pas d’un objet mais d’un fétiche qui, une fois introduit dans le Moi, limite et restreint les fonctions et le potentiel de celui-ci. Le fonctionnement de la masse serait alors la faillite et la mort du processus d’identification, fondamental pour le Moi.

 

L’Identification hystérique

 

Dans l’Interprétation des rêves, à partir du rêve de la (belle) bouchère[1], Freud, en supposant que dans son rêve la patiente “ait remplacé l’amie ou, en d’autres termes, se soit identifiée à celle-ci, se demande : mais quelle signification a l’identification hystérique?”. De cette question que Freud se pose, partent ses considérations sur l’identification dans l’hystérie : ”L’identification est un moment extrêmement important des mécanismes des symptômes hystériques ;  par le biais de celle-ci les malades arrivent à exprimer, dans leurs symptômes, non seulement leurs propres expériences mais celles de plusieurs personnes, à souffrir, en quelque sorte, pour une foule tout entière et à jouer sans le concours d’autrui tous les rôles d’une comédie… C’est un acte un peu plus complexe que celui qu’on aime indiquer comme imitation hystérique et qui correspond  … à un processus de déduction inconscient… “Si une cause comme celle-ci peut provoquer une attaque de ce genre, moi aussi je peux avoir le même genre d’attaque, car des causes comme celle-ci sont valables pour moi aussi.” L’identification n’est donc pas une simple imitation mais une  appropriation sur la base de la même prétention étiologique. Elle exprime un “comment” et se réfère à quelque chose de commun qui persiste dans l’inconscient. (notes manuscrites ajoutées)”.

La perspective du partage agit ici dans la direction contraire au fonctionnement de la masse ; “la multitude” est englobée dans le Moi et celui-ci ne s’y soumet pas. Nous trouvons la même direction dans l’idée d’“identification multiple” des Observations générales sur l’attaque hystérique (1908), celle qui permet d’être et  en même temps de jouer le rôle du mâle et de la femelle, d’être en même temps actif et passif, Soi et l’Autre, bref d’utiliser le double renversement.

Par rapport à ces voies de l’identification, les éléments fantasmatiques qui en font partie sont choisis et maintenus actifs pour permettre de nier le désir et de le réaliser en même temps (de Mijolla 1981). Identification et symptôme peuvent donc être étroitement liés en tant que formations de compromis, satisfaction, punition, telles qu’elles seront précisément définies dans Psychologie des masses et analyse du Moi, où Freud énumère justement les trois formes du processus d’identification dans la formation d’un symptôme névrotique (toujours de conversion ?). L’identification peut dériver du complexe œdipien et exprimer le désir de remplacer l’objet de sa haine pour avoir l’amour de l’autre parent, avec la culpabilisation qui s’ensuit. Ou bien le symptôme est identique à celui de la personne aimée ; dans ce cas, l’identification remplace le choix de l’objet, qui fait une régression jusqu’à l’identification. Il s’agit d’une identification partielle, qui s’approprie seulement d’un aspect de la personne faisant l’objet de l’identification. Dans le troisième cas, particulièrement fréquent et important, l’identification ne tient pas compte du rapport à l’objet avec la personne copiée, écrit Freud qui, ici, semble ne pas tenir compte du transfert. “Le mécanisme est celui de l’identification induite par la possibilité ou la volonté de se transposer dans la même situation. … Un des deux Moi a perçu une analogie significative avec l’Autre à un point précis … sur ce fondement, une identification s’instaure à ce point-là … L’identification par le symptôme prouve ainsi qu’il existe entre les deux Moi un lieu de coïncidence qui doit être gardé en état de refoulement. Ce que nous avons appris de ces trois sources peut être résumé de la façon suivante : en premier lieu, l’identification est la forme la plus originelle du lien émotionnel avec un objet ; en deuxième lieu, elle peut devenir, par la voie de la régression, le substitut d’un lien objectal lié à la libido, en quelque sorte par l’introjection de l’objet dans le Moi ; en troisième lieu, elle peut s’insurger par rapport à tout aspect possédé en commun – et non perçu auparavant – avec une personne qui ne fait pas l’objet des pulsions sexuelles. Plus cet aspect possédé en commun est significatif, plus cette identification partielle doit réussir, afin de correspondre au début d’un nouveau lien (295-296) (notes manuscrites ajoutées)”.

Mais alors, quelles pourraient être les raisons qui président à ce choix ? Freud lui-même répond partiellement à ces questions, justement en ouvrant ce paragraphe, lorsqu’il affirme : “L’identification est connue de la psychanalyse comme la première manifestation d’un lien émotionnel avec une autre personne.” Et tout de suite après : “L’identification, en tout cas, est ambivalente dès le début ; elle peut tendre aussi bien à l’expression de la tendresse qu’au désir de l’éloignement. Elle agit comme un dérivé de la première phase orale de l’organisation de la libido, dans laquelle l’objet convoité et apprécié était incorporé pendant le repas et, par conséquent, détruit en tant que tel”.  

La fonction polyédrique de ce mécanisme apparaît déjà chez Freud ; s’il peut conduire à des symptômes allant jusqu’à jouer sur la plasticité du corps produisant des formes de conversion, il peut aussi permettre tout simplement l’assouvissement d’un désir dans la scène du rêve ou bien gérer des sentiments complexes et difficiles, tels que l’envie et la compétition ou carrément des aspects de l’identité masculine et féminine, mais aussi établir ou rétablir le partage ou, si nécessaire, l’indifférence à l’égard de l’objet. C’est justement par sa partialité, son économie et la rapidité avec laquelle il résout les conflits, qu’il s’avère donc, immédiatement et souvent, tout à fait efficace, non seulement dans un but de défense mais aussi, justement, pour reprendre le travail psychique et créer de nouveaux liens, agissant donc à l’enseigne d’Eros.

 

Einfühlung

L’Einfühlung, que nous traduisons par empathie et mimésis, est un processus que Freud emprunta à Theodor Lipps (1851-1914), professeur de psychologie et d’esthétique à Munich. 

 

“… J’éprouve une jouissance pour moi-même dans un objet sensible différent de moi. La jouissance esthétique est de cette espèce. C’est une jouissance de Soi rendue objective.

Or, le fait que j’éprouve une jouissance pour moi-même dans un objet sensible se base sur le fait que j’aie, que je trouve ou que je sente moi-même dans celui-ci. Ainsi rencontrons-nous le concept fondamental de l’esthétique d’aujourd’hui : le concept d’empathie [Einfühlung]. […] Celle-ci signifie que, à l’instant où je saisis un objet, justement dans cet objet tel qu’il existe et ne peut exister que pour moi, je vis une activité ou une modalité de l’auto-activation comme quelque chose qui lui appartient” (Lipps 1906).

 

Mais, afin qu’un rapport d’Einfühlung se réalise, on ne peut pas ignorer la nécessité contextuelle de l’appropriation, de l’emprise. Le moteur du besoin, du fait de pénétrer dans l’autre, de s’approprier et d’endosser, d’assimiler à soi, de retenir à travers l’autre. En essayant de définir ce processus de manière métapsychologique,  nous pourrions dire qu’il s’agit d’une forme très élaborée de travail psychique, en partant d’une oscillation engendrée par la nécessité de redéfinir un lien ou d’en constituer un nouveau, basculant entre narcissisme et objectalité, entre acquisition et perte. Dans ce sens, l’Einfühlung pourrait être une des formes de l’identification hystérique (Munari 2014).

 

L’identification à l’objet perdu

Si, jusqu’à présent, nous avons pensé à un Moi en mesure de gérer la situation en quelque sorte et également d’en tirer des avantages, par l’identification mélancolique nous assistons à sa débâcle.

Dans ce cas, il arrive que, lorsque l’objet investi narcissiquement est amené et maintenu à l’intérieur, en rétablissant avec lui par régression une condition d’indifférenciation on réalise un processus qui essaie de conserver un objet (qui était bon et que l’on voudrait garder tel quel), retenu pour ne pas percevoir la différence et la séparation de celui-ci, puis perdu (et par conséquent devenu mauvais). En outre, il s’agit d’un objet qui est incorporé et dévoré, donc également attaqué et détruit, sans qu’il s’ensuive un détachement de celui-ci plus ou moins coupable et plus ou moins réparateur, donc une vraie identification. Ce processus s’arrête à la tentative d’éliminer le mauvais objet (car perdu et/ou qui abandonne et rendu doublement mauvais car attaqué) par une tentative paradoxale de sa conservation à l’intérieur, en l’assimilant à soi de manière narcissique. Il arrive ainsi que c’est le sujet qui devient mauvais par      lui-même. (Munari 2019)

Ce que le travail de la mélancolie nous montre, c’est une situation dans laquelle l’identification reste la seule possibilité d’élaboration. De ce point de vue, le travail de la mélancolie est une expérience cruciale, dans laquelle l’identification est la seule à l’œuvre, la seule capable de fournir une issue au Moi coincé entre  l’impossibilité de désinvestir l’objet et l’impossibilité de continuer à l’investir (Rosenberg 1991, 105).

C’est-à-dire qu’il se produit, par des dynamiques et des conditions préalables très différentes, quelque chose de semblable à ce que Freud, dans la phase où l’on tombe amoureux, a défini comme autosacrifice du Moi : “L’objet, pour ainsi dire, a dévoré le Moi.” (Freud 1921, 301) et encore quelque chose de semblable à ce que Marco La Scala (2017) a décrit comme “incorporation passive” quand l’objet fait intrusion dans le Moi et l’occupe par la force.

 

En tout cas nous pourrions affirmer que tous les types d’identification, non seulement la puissante défense imitative (Gaddini 1969), mais aussi l’identification hystérique précaire et partielle ou l’identification secondaire élaborée, tendent à établir ou rétablir une quelque part d’indifférence  (désinvestissement) et d’indifférenciation à l’égard de l’objet : ou en l’imitant ou en s’appropriant de quelque chose de lui ou en devenant lui. En effet il s’agit dans tous ces cas, par des stratégies et des processus même très différents entre eux, de tentatives d’éliminer la différence, l’altérité, la dépendance, l’ambivalence et la conflictualité avec l’objet, bref il s’agit justement de revenir à l’indifférence à son égard et de le faire par l’indifférenciation.

 

De tout cela nous pouvons déduire, avec un degré de certitude raisonnable et un nombre énorme de questions que, par l’identification, le Moi essaie de s’emparer de l’objet “convoité et apprécié” et que, par conséquent, pour faire face à la conflictualité, il se trouve à devoir produire des symptômes et à redistribuer les investissements narcissiques entre Moi et idéal du Moi, en faisant des déliaisons et des reliaisons. Il n’y arrive pas toujours !

 

 

 

Bibliographie

 

De Mijolla A. (1881). Les visiteurs du Moi.  Paris, Les Belles Lettres.

Freud S. (1899). L’Interpretazione dei sogni. OSF 3.

Freud S. (1908). Osservazioni generali sull’attacco isterico. OSF 5.

Freud S. (1921). Psicologia delle masse e analisi dell’I., OSF 9.

Gaddini E. (1969). Sulla imitazione. In: Eugenio Gaddini. Scritti. Milano, Raffaello Cortina Editore, 1989.

Green A. (2010). Aspects du champ depressif. In: (sous la direction de) Braconnier A., Golse B.. Dépression du bébé, dépression de l’adolescent. Toulouse, Éditions érès.  

La Scala M. (2017). Percepire allucinare immaginare. Milano, Franco Angeli.

Lipps T. (1906). Empatia e godimento estetico. In: Discipline filosofiche. Una “scienza pura della coscienza”: L’ideale della psicologia in Theodor Lipps. XII, 2, 2002, 31-45.

Munari F. (2014). L’emprise. L’azione necessaria. In: (a cura di) Munari F. Mangini E.. Metamorfosi della pulsione. Roma, Franco Angeli.

Munari F. (2019). (a cura di) EROS & THANATOS. Sui processi di legamento. Roma, Alpes Editore.

Rosenberg B. (1991). Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie. “Monographies de la Revue française psychanalyse”, Paris, PUF.

 

 

[1]“Je veux donner un dîner mais je n’ai pour toutes provisions qu’un peu de saumon fumé. Je voudrais aller faire des achats mais je me rappelle que c’est dimanche après-midi et que toutes les boutiques sont fermées. Je veux  téléphoner à quelques fournisseurs mais le téléphone est détraqué. Je dois renoncer au désir de donner un dîner ”.

Les associations de la patiente mènent à une amie que son mari loue souvent malgré le fait qu’elle soit très maigre et que son mari préfère les femmes bien en chair. Cette amie, qui lui a clairement manifesté le désir de grossir et dont le mets préféré est le saumon fumé, lui a aussi demandé récemment que la bouchère l’invite à dîner, car chez elle on mange toujours très bien. L’assouvissement du désir du rêve est donc celui de ne pas vouloir nourrir cette amie qui, si elle devenait plus rondelette, plairait encore davantage à son mari.

 

Franca Munari, Padova

Centro Veneto di Psicoanalisi

franca.munari.ls@gmail.com   

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